Le 26 août 2014, Kamel Bennaceur, ministre de l’Industrie, de l’énergie et des mines annonçait dans un quotidien de la place : « le dialogue national sur le gaz de schiste aura lieu en septembre prochain, quant à la production, elle démarrera dans huit ans. »
Aujourd’hui, près de cinq mois après la déclaration du ministre et au moment où le gouvernement Jomâa fait ses valises pour céder la place à l’équipe Essid, n’est-il pas temps de s’interroger : à quand une décision radicale pour que la Tunisie tire, enfin, profit du potentiel dont elle dispose en gaz de schiste et proposer, ainsi, une alternative sérieuse à la prééminence du pétrole, à la mainmise de ses barons et se libère définitivement des fluctuations que connait régulièrement son cours sur le marché international .
Imed Derouiche, expert en énergie révèle sa vision sur la meilleure stratégie possible pour que la Tunisie emprunte la voie des pays qui ont réussi à échapper au diktat des lobbies environnementaux. Entretien.
Pensez-vous que le prochain gouvernement sera amené à autoriser l’extraction du gaz de schiste ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Et ce sont les objectifs économiques qui doivent être pris en considération en premier lieu.
Aujourd’hui 45% de notre consommation en gaz naturel et en gaz liquéfié, provient de l’importation, ce qui se traduit par une véritable saignée de nos devises, outre que la compensation du gaz atteint 150 %.
Cette richesse se trouve aussi bien au sol que dans la mer, plus particulièrement dans le sud. La quantité est estimée à 20 milliards de m3 dont l’extraction peut créer 100 mille postes d’emploi au cours de la première année et 200 mille au cours des années suivantes.
Dois-je insister sur les objectifs de la Révolution dont principalement l’emploi des jeunes. Nous disposons de la solution à portée de main. Malheureusement, les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays depuis la Révolution ont préféré contracter des crédits à des conditions draconiennes que de recourir à des richesses naturelles délaissées.
Vous n’êtes pas sans savoir que la rentabilité d’un tel projet demande du temps ?
Oui, il est vrai que l’extraction du gaz de schiste demande beaucoup de temps et les projets dans ce domaine offrent une rentabilité garantie à 100 %. Reste qu’il faut savoir attendre qu’ils soient rentables. D’ailleurs, le ministre de l’Energie Kamel Bennaceur voit juste en déclarant que la production interviendra dans au moins huit ans. Mais il faut sauter le pas.
Vous semblez négliger l’opposition des défenseurs de l’environnement qui appuient leurs arguments par la position de certains pays qui interdisent encore l’extraction de gaz de schiste sur leur sol national ?
A mon avis , il est temps de lever l’équivoque qui entoure la position du gouvernement français et rappeler que le centre national de recherches scientifiques français (CNRS) a publié en 2008 un rapport dans lequel il a été établi que cette décision est purement politique et qu’elle ne s’appuie sur aucune donnée économique ou environnementale.
Plus encore, les pays interdisant l’extraction du gaz de schiste ont pris ces décisions tout simplement parce qu’ils veulent préserver leur industrie nucléaire.
Le Brésil, considéré comme le poumon du monde, et la Chine autorisent l’extraction du gaz de schiste.Quant aux USA, ils sont considérés comme le pays pionnier en la matière. Il faut surtout mentionner qu’il y existe aujourd’hui 37 mille puits en état de production permanente.
Comment expliquez-vous alors les sonnettes d’alarme que tirent en permanence les organisations de protection de l’environnement ?
Il est une vérité que beaucoup de gens ignorent et il est temps qu’elle soit dévoilée. Beaucoup de défenseurs de l’environnement sont devenus de véritables lobbies et ils sont attachés à préserver leurs intérêts à n’importe quel prix au détriment de cette solution qu’est l’extraction du gaz de schiste qui pourrait nous libérer de la mainmise du pétrole et de ses barons.
La meilleure réponse à ces lobbies est bien celle de l’Allemagne où la protection de l’environnement est érigée en une véritable religion et pourtant ils produisent du gaz de schiste. Tout simplement parce qu’ils sont convaincus que c’est l’énergie du futur.
Que faut-il faire pour convaincre les opposants à la production du gaz de schiste en Tunisie ?
Il faut bien qu’ils comprennent que l’énergie que nous importons fait saigner notre budget et que des milliers de milliards de dinars sont sacrifiés injustement, alors que nos richesses en gaz de schiste sont délaissées. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une décision politique courageuse qui ne pourrait émaner que d’un gouvernement fort bénéficiant d’une crédibilité avérée.
Au cas où le prochain gouvernement décide d’autoriser la production du gaz de schiste, quels avantages pourrait tirer le citoyen tunisien ?
Il est une lapalissade d’affirmer que le citoyen tunisien en sera le premier bénéficiaire au moins au niveaux des 100 milles postes d’emploi qui seront créés dès la première année. Idem pour la machine économique en général et pour l’amélioration du pouvoir d’achat du Tunisien Mieux, nous serons capables de produire notre énergie par nos propres moyens et de réduire notre dépendance de l’extérieur dans ce domaine. L’Etat pourra également atténuer les subventions consacrées au carburant. Ces subventions serviront aux programmes de développement dans les régions dites prioritaires.
Quant aux compétences qui vont exercer dans le domaine, elles constitueront une plus-value certaine et elles peuvent être exportées à l’étranger, dans les pays qui en ont besoin.
Admettons que l’Etat consente effectivement à autoriser la production du gaz de schiste, il reste toujours le problème de la compensation qui profite malheureusement aux riches ?
Effectivement, dans sa formule actuelle, la compensation va dans les poches des riches.
La compensation ne concerne pas uniquement les carburants mais bien d’autres produits dits de consommation de base. Malheureusement, ces produits à l’instar de la farine et du sucre sont détournés de leurs ayants droit et profitent aux industriels dont la plupart réussissent – il est affligeant de le constater mais il est de notre devoir de le dénoncer en permanence – à échapper à leur devoir fiscal.
La situation étant ce qu’elle est, il est impératif de trouver une solution radicale pour que les subventions aillent à leur ayants droit et exclusivement à ces derniers. Ma proposition est simple, réaliste et réalisable. Il faut revenir à la facture de consommation de l’électricité pour identifier les véritables ayants droit aux subventions. Il faut bien mettre en œuvre une référence scientifique sur laquelle on va se baser pour procéder à la restructuration de la Caisse générale de compensation. La banque de données dont dispose actuellement la société tunisienne d’électricité et de gaz (STEG) est la référence la plus indiquée pour commencer cette gigantesque œuvre, celle de mettre un terme à la fausse compensation.
Et ce sont les régions que le train de développement a oublié durant les dernières décennies qui ont le droit absolu de profiter des dividendes en matière d’infrastructure autoroutière et de voies ferrées. Inutile de relever que cette œuvre permettra d’attirer les investisseurs tunisiens et étrangers pour s’installer dans ses régions
La mode de nos jours est que le tourisme bénéfice lui aussi des énergies renouvelables.
Oui, vous posez le doigt sur un dossier urgent. Il est plus qu’urgent que notre tourisme profite réellement des 300 jours de soleil par an qu’offre notre climat clément. L’industrie de l’énergie solaire est plus que jamais à l’ordre du jour. Elle est à développer à tout prix dans les trois pôles touristiques actuels, Sousse, Hammamet et Djerba. Les défenseurs de l’environnement et les amoureux de la nature ont bien du boulot en vue de promouvoir le tourisme écologique. Mais, il demeure un grand dossier, celui de la recherche scientifique
Précisément, quelle stratégie faudrait-il mettre au point pour promouvoir la recherche scientifique ?
Partant du fait que nous convenons que la recherche scientifique est la locomotive fondamentale de notre action de développement, le devoir nous impose d’augmenter le budget consacré aux chercheurs.
Le budget de la recherche doit être augmenté de dix points et la priorité doit être accordée, dans les dix prochaines années, au secteur de la médecine et de l’industrie médicamenteuse.
Nous avons le devoir de découvrir des médicaments à ces maladies rampantes comme le diabète et le cancer.
En un mot notre ambition est d’économiser les deux milliards de dinars consacrés annuellement à l’importation des médicaments que nous pouvons fabriquer.
Interview recueillie
par Hichem Chérif