Par Sami Mahbouli
Nonobstant les airs vexés et les grimaces de certains, la rencontre entre Ghanouchi et Caïd Essebsi est une bonne nouvelle pour tous ceux qui pensent que le compromis est le plus court chemin pour sortir de l’impasse politique ; les guerres de tranchées et les appels à la désobéissance civile ne peuvent qu’enfoncer un peu plus le pays dans « la mélasse » et exacerber les affrontements partisans. En cela, l’apaisement prôné par les leaders des deux principales forces politiques, relayé, immédiatement, par leurs lieutenants respectifs doit être salué. Le premier bénéfice tangible dudit rapprochement est l’enterrement du projet de loi sur « l’immunisation de la Révolution » aux termes de laquelle de grands malades planifiaient la «Mort civile» de milliers de leurs concitoyens. A l’instigation de Saint-Just au petit pied, cette loi scélérate consacre, en fait, le châtiment collectif et la présomption de culpabilité ; elle présente, en outre, pour ses promoteurs l’avantage d’écarter de la scène politique des concurrents gênants. On imagine aisément le dépit du parti « Wafa », dissidence groupusculaire du CPR, et de son gourou Abderaouf Ayadi qui avaient fait de la loi sur l’immunisation leur cheval de bataille et, pour ainsi dire, leur unique fonds de commerce ; en matière de baux commerciaux, la privation de son fonds de commerce ouvre droit pour son titulaire à une indemnité dite d’éviction ; c’est pourquoi, je propose, au titre de ce droit à la réparation, qu’une quête nationale soit organisée au profit du parti « Wafa » pour l’acquisition de mouchoirs 100% coton et, pour les cas les plus graves, de séjours en maison de repos.
Depuis presque deux ans, le danger extrémiste qui menace la Tunisie saute aux yeux de tous sauf à ceux du gouvernement. Il en devient presque lassant de dresser l’inventaire du laxisme voire de la complaisance de ceux qui sont en charge de notre sécurité : le diktat salafiste et la bannière nationale foulée à l’Université de la Manouba, les agressions répétées contre des intellectuels, les mosquées sous la coupe de fanatiques, l’ambassade US attaquée en plein jour, et pour finir les exécutions ciblées de personnalités politiques. Il aura fallu que le sang de nos soldats martyrs éclabousse les costumes bien taillés de nos responsables gouvernementaux pour qu’ils sortent de leur léthargie et se décident à agir. Après la sécheresse, c’est un déluge d’informations à grand renfort de conférences de presse et de déclarations gouvernementales ; les inoffensives brebis et les enfants chéris d’antan sont les dangereux prédateurs d’aujourd’hui, les paisibles sportifs du Chaambi sont désormais des terroristes sanguinaires qu’il faut écraser sous les bombes de notre aviation. Le réveil est brutal et, espérons-le, pas trop tardif ; il pose, inévitablement la question de la responsabilité morale, politique voire pénale de ceux qui ont laissé ce fléau s’insinuer dans nos villes et dans nos campagnes. De la calamiteuse loi d’amnistie générale de « la paire Mbâzaa-Ghannouchi », si pressée d’enfouir 20 ans de compromissions «Zabaliennes» au congédiement de compétences sécuritaires par l’insignifiant Rajhi, et enfin des liaisons dangereuses du Pouvoir avec des groupes aussi douteux qu’Ansar Charia, il n’est pas difficile d’identifier les coupables du formidable cadeau fait aux terroristes. Ceux qui ont bradé la sécurité de notre pays pour un sauf-conduit ou par affinités idéologiques devront, tôt ou tard, payer le prix de leur félonie sans espoir d’une remise.
Pour qualifier l’utilisation d’armes chimiques en Syrie, l’administration américaine, par la voix de son Secrétaire d’État, a utilisé le terme « d’obscénité morale ». Face aux images déchirantes de ces centaines de victimes innocentes, le terme n’est pas assez fort. Du reste, en matière d’obscénité morale, il faut faire confiance à l’Oncle Sam et ne pas remettre en cause sa maîtrise dudit concept. Sans remonter à l’extermination des tribus indiennes ni à l’épopée esclavagiste, on peut raisonnablement considérer qu’Hiroshima, la Guerre du Vietnam, et l’invasion de l’Irak comme des échantillons représentatifs de « l’obscénité morale ». L’inconvénient du recours à la morale et au sentiment chaud et cordial réside dans le fait qu’on doit, préalablement, s’assurer d’avoir la conscience légère et, de préférence, un passé sans taches ; or, en l’espèce, l’administration américaine, n’est pas, le moins qu’on puisse dire, bien lotie. Quand John Kerry n’hésitera plus à qualifier le sort réservé aux Palestiniens par l’État hébreu depuis 1948 « d’obscénité morale », nous serons prêts à tendre l’oreille à son prêchi-prêcha et même à trouver à ses accents d’évangélisateur une certaine musicalité…