Le dialogue national est en panne, provisoirement nous rassure-t-on ; pour les simples mortels que nous sommes, ce ballet de visages sentencieux, ce carnaval des vanités, cette nuée de garde-corps collant aux basques de nos « huiles nationales », et toute cette agitation fiévreuse ne pouvaient que déboucher sur un accord. C’était sans compter sur l’intransigeance des uns et sur l’inconscience des autres. On a parfois l’impression d’avoir affaire à des personnes de religions et de cultures différentes tant leurs divergences paraissent irréductibles. Pour sortir de l’impasse, une idée a jailli dans mon esprit : dépaysons le dialogue national ce qui signifie, en termes moins savants, organisons-le en terre étrangère. Mais où me diriez-vous ? Je propose Assise en Italie. En effet, cette cité médiévale, berceau de Saint-François, est devenue depuis plus d’une vingtaine d’années le lieu privilégié du dialogue interreligieux ; des religieux de toutes les confessions s’y pressent pour y célébrer un œcuménisme de bon aloi. Je suis convaincu que l’air vivifiant de cette cité prestigieuse et surtout l’esprit de Saint-François ne pourront que fouetter le sens du dialogue qui a fait cruellement défaut à Tunis ; Sidi Mehrez et Sidi Belhassen n’ayant pas suffi, il se peut que placer le dialogue sous les auspices de Saint-François mène à un heureux épilogue. Si l’on rapporte le coût en devises de cette virée aux bienfaits qu’on peut en escompter, on se rendrait compte qu’elle n’est pas si onéreuse que cela ; du reste, il n’est pas à exclure que le Vatican, sponsor des rencontres œcuméniques d’Assise, dans un grand élan de générosité chrétienne, accepte de prendre en charge le gîte et le couvert de nos chers compatriotes.
La dernière prestation du sous-ministre, Houcine Jaziri, sur Hannibal TV avait quelque chose d’irréel ; je ne m’attarderai pas sur l’air triomphant et le sourire en coin qui ne l’ont pas quitté durant toute l’émission pour me concentrer sur ses propos. Selon lui, la situation ne serait pas aussi catastrophique que les cassandres de l’opposition le clament et d’ajouter que le gouvernement a fait un travail honorable et n’a pas démérité malgré tous les crocs en jambe qu’il a dû subir. Je comprends, maintenant, pourquoi Sieur Jaziri est en charge de l’émigration dans le gouvernement : il ne vit pas en Tunisie et il est resté, quelque part, un émigré. Cela n’a évidemment rien de déshonorant mais ne facilite pas, compte tenu de la distance, une bonne appréhension de la situation locale. De loin, monsieur Jaziri a du mal à entendre la colère qui gronde et voit encore moins l’état de détresse de ses concitoyens. Dans son exercice d’autosatisfaction, notre sous-ministre n’a pas oublié de procéder à une généreuse distribution de bons points et de cartons rouges. Tous ceux qui s’inclinent devant les réalisations de la Troïka sont primés ; en revanche, ceux qui en soulignent les échecs sont vilipendés. Ses allégations relatives à Me Mokhtar Trifi sont la parfaite illustration de cet axiome : pour avoir, dans une conférence de presse, dénoncé les incongruités et les bizarreries de l’enquête sur l’assassinat des martyrs Belaïd et Brahmi, Me Trifi est taxé de légèreté et d’inconséquence par le maître d’école Jaziri ; ce dernier ira jusqu’à l’accuser d’avoir faibli devant Ben Ali avant le 14 janvier 2011. Seuls l’éloignement de Houcine Jaziri des réalités tunisiennes et la distorsion auditive et visuelle qui en résulte peuvent expliquer l’inanité de tels propos : s’il y a bien quelque chose que personne ne conteste à mon confrère Mokhtar Trifi c’est bien son entêtement et sa détermination face à Ben Ali. On se rehausse rarement en essayant de rabaisser son prochain, à plus forte raison, en convoquant la calomnie…
Par Sami Mahbouli